Thierno DIALLO

Thierno a aménagé un atelier-galerie à  Lafiabougou Talico, quartier  excentré de Bamako au pied du Mont Mandingue. C’est un jeune peintre sculpteur qui expérimente sans cesse de nouvelles techniques. Il a fait de son atelier un lieu de création collectif qu’il partage avec trois autres artistes de Bamako. En quelques années, il a construit une sorte d’atelier idéal pour les recherches picurales. Le plantes, la décoration d’inspiration zen, l’air qui circule avec les parfums de fleurs, ici tous les éléments favorisent la sérénité nécessaire à la réflexion. On se demande même comment Thierno arrive à ne pas être plus dérrangé par les connaissances qui souhaiteraient tout simplement profiter de son atelier comme d’un espace de vie où passer les heures chaudes de la journée.

Les peintre-sculpteurs viennent quotidiennement. Chacun fouille, trace, concocte et mélange avec ce qu’il a à sa disposition. La nature environnante fourni la base de leurs matériaux et l’atelier prend des airs de véritable laboratoire d’herboristerie . Ils se nourrissent aussi de cette collectivité en échangeant avec l’autre conseils, avis, idées et projets.

Discussion avec Thierno :

M.B. : « Il est frappant de voir la diversité des oeuvres que tu réalises. Entre le dessin, la peinture, la sculpture, quelle technique expérimentes-tu en ce moment ? »

T.D. : « J’aime tester tous les matériaux. En tant qu’artiste, je dois chercher, expérimenter. Parfois j’ai l’impression d’être comme un cuisinier qui dose les ingrédients pour atteindre l’arôme recherché. Alors, je prends tout ce que je trouve dans la nature autour de moi. J’ai mis au point une technique le Worolan que j’ai déposée. Il s’agit de faire macérer des noix de cola afin d’obtenir un jus dont la teinte et la brillance s’apparentent au brou de noix que vous utilisez en Occident. En le diluant plus ou moins, ce jus me permet de jouer sur des dégradés d’ocres et de bruns profonds, couleurs que j’affectionne particulièrement. Je le projette sur la toile. Le cola symbolise chez nous la base du foyer.

L’infusion des plantes telles que les feuilles de kinkiliba  ou d’autres plantes que l’on trouve dans les environs de Lafiabougou me donnera des jus jaunes ou verts. En faisant bouillir dans l’eau des feuilles d’épinard, j’obtiendrais de l’ocre et avec l’écorce d’arbre bouillie, j’aurais un jus rouge. Pour mes fabrications de vêtements, j’utilise la technique du bogolan, pour laquelle le jus d’écorce sert de teinture dont le fixatif est naturel.

Pour la fabrication de mes supports, je peux coller sur une plaque de bois des coques de mangue, de cacahuètes ou du sable. Cela donne du relief ou un grain à mon support. J’ai aussi  encoller de la cendre sur une toile afin de donner une teinte noire à ma préparation. Actuellement je plonge des toiles en coton dans des bassines contenant des infusions de feuilles diffrérentes. Je vois ensuite la couleur obtenue, l’effet sur la matière.

Pendant une période, jai aussi beaucoup travailler le bois que je trouve dans la région.

Pour moi, tout est expérimentation de matières végétales et mon environnement immédiat me procure la plus grande partie de ma matière première. Connaissez-vous le galéré ? C’est une plante africaine dont l’infusion produit de l’encre végétale. Je voyais mon grand-père l’utiliser pour écrire les sourates sur ses tablettes. » Thierno projette de faire une plantation de cette espèce avec les graines qu’il rapporte du village.

« Quatre-vingt pour cent de ce qui est utilisé au Mali vient de l’extérieur par bateau. Sans mer, nous dépendions essentiellement du port d’Abidjan mais avec les prolèmes en Côte d’Ivoire nous nous sommes retrouvés sans matériel pour travailler. Je me suis dit qu’il vaut mieux ne pas être lié à quelqu’un mais plutôt à Dieu. Je préfère donc exploiter les richesses de la nature. Elle se régénère. Tout vient de là et je pense que nous y retournerons aussi. »

 

        Ce choix de technique de travail est un véritable engagement. Ainsi, il exprime sa douleur face aux carnages écologiques de l’homme sur la nature et  tend à prouver que l’on peut utiliser les éléments naturels sans avoir recourt aux produits chimiques. L’écologie reste un thème dominant dans son œuvre à travers des toiles telles que Le cri de la nature où l’on voit des arbres ouvrir une bouche béante exprimant leur souffrance parceque l’homme les brûle.

Et cette grande toile noire représentant Le village planétaire où apparaît une main énorme, ouverte comme si elle allait attraper quelque chose pour le broyer. « La main de l’homme, c’est la main meurtrière qui détruit toutes choses et ne respecte pas l’épanouissement de la nature », nous dit Thierno.

« Je veux sensibiliser les autorités et la population avec mon projet de récupération des déchets plastiques afin d’en faire des sculptures. Le plastique est un grand problème au Mali et particulièrement à Bamako où les sacs et déchets s’entassent dans les  rues et terrains vagues en plein centre de la ville. Parfois, le soir, on brûle ces monticules et les enfants jouent et évoluent en respirant sans répit les émanations toxiques. Dès leur plus jeune âge, leurs poumons sont agressés et on ne peut imaginer que ces enfants aient une longue espérance de vie sans encombre de santé. »

Cette question de pollution de l’environnement par les déchets touche de nombreux artistes qui dénoncent souvent dans leurs œuvres la négligence de la population et le manque d’engagement des gouvernements successifs.

Les idéogrammes dogon ou bamabara  sont souvent au centre de la toile et définissent le thème abordé. Ils se mèlent et se fondent aux courbes organiques.  Les mythologies dogon et bambara transparaissent dans les recherches de Thierno et les concepts de leur cosmogonie animent son œuvre. Par exemple, le tableau L’air symbolise l’un des douze éléments fondamentaux de la cosmogonie bambara après l’eau, le feu, le ciel, la terre, l’homme, le Soleil, la Lune, le nord, le sud, l’est et l’ouest. Le premier geste de l’enfant à la naissance est de respirer.

Il a engagé une reflexion sur le trait, la trace en aport avec le Thibaw ( trace des ancêtres), qui renvoit aux tables divinatoires dogon inscrites sur  le sable fin. Un initié pose une question à laquelle le renard sacré viendra répondre pendant la nuit en marquant les signes de ses pas. Dieu a dotté l’animal de sens divinatoires pour communiquer et transmettre aux hommes. Thierno a constaté la similitude de la disposition de ces traits sur des objets très divers issus de nouvelles technologies, telles que les batteries de portables. Ses toiles sont une combinaison de signes, de codes, de traits et barres, proches des plaquettes d’informatique, ou de calculs scientifiques. Il fait un parallèle entre les traits divinatoires des ancêtres et les avancées technologiques. «Les ancêtres avaient accumulé des connaissances dans tous les domaines. L’avenir se construit à partir du passé et du présent.» Pour bien saisir la complexité de tout cela et s’en impregner, Thierno part quelques fois dans les villages du Wassoulou où il écoute et apprend de ceux qui maîtrisent la géomancie. Cette  science n’est pas accessible à tout le monde mais il veut la comprendre et tenter de la préserver en la faisant vivre dans ces peintures.

D’autres tableaux symbolisent la trilogie du temps, ou le tonnerre par la représentation des idéogrammes correspondants. Dans  » La marche du savoir » , la plume (symbole du savoir) traverse le cauri (symbole de la richesse) sur un fond laissant apparaître  un pied. Thierno explique : « On dit que celui qui voyage ne perd rien. Un jeune qui a traversé cent pays est aussi sage qu’un vieux  de cent ans. Le jeune soninké qui part en France pour trouver la richesse, même s’il échoue, il s’enrichit énormément. En se frottant à une autre ethnie, il découvre une terre nouvelle et se plonge dans une autre culture. Le voyageur est très respecté chez nous car nous admirons  celui qui a quitté sa maison et son confort pour voir comment vivent les autres et s’adapter à leurs moyens. Celui qui vient jusque chez toi vaudra toujours mieux que toi, dit-on. » Ce respect de l’autre, et de l’étranger en particulier, on le ressent en permanence au Mali ; dans le regard des gens croisés, dans la rue ou les dourounis (bus), dans les incessants égards lorsque l’on pénètre chez les gens, dans les éclats de joie des enfants qui viennent vous serrer la main …

Tout cela on le retrouve dans la peinture de Thierno Diallo. On dirait qu’il  veut rappeler les valeurs de solidarité et de spiritualité qui caractérisent la tradition. Comme si, malgré les changements rapides que subit la société et avant qu’il ne soit trop tard, l’homme devait absolument retrouver les fondements de ses origines.