ITW ISMAEL DIABATE

Ismaël Diabaté est, comme il aime à le dire, le doyen des plasticiens maliens.

Difficile d’écrire sur cet artiste tant il a de choses à nous transmettre. Il incarne l’ancien dans toute sa splendeur qui a une réflexion très complète sur notre monde actuel, avec des rappels des valeurs fondamentales trop souvent délaissées.

Son travail à travers les années est le fruit de recherches, d’expérimentations de la matière, de la forme, de la couleur, du symbole.

Il travaille depuis plusieurs années avec deux techniques distinctes : l’acrylique sur toile et le bogolan contemporain.

Entretien avec le grand Ismaël Diabaté :

« Comme j’aime le dire je suis l’ancêtre des plasticiens maliens parce que je suis le plus ancien sortant de l’Institut National des Arts de Bamako.

Sorti de l’école j’ai beaucoup travaillé à la peinture à l’huile et ai particulièrement étudié les impressionnistes. Pour moi ce sont les grands maitres de la couleur. J’ai beaucoup appris avec eux. Je peux dire que pratiquement pendant dix ans je n’ai travaillé qu’à l’huile que des amis européens me ramenaient parce que l’on ne trouvait pas de tubes sur le marché bamakois. C’est une des raisons pour lesquelles aussi je me suis intéressé à d’autres techniques telles que le dessin à l’encre de chine à la plume.

Je me lance toujours le défi de maîtriser de nouvelles techniques.

Du dessin à la plume, je me suis penché sur le bogolan. C’est une technique traditionnelle artisanale mais m’intéressant au bogolan mon défi était d’en faire une technique artistique qui permette la spontanéité, l’expression spontanée et je pense que après 10 années de recherches je suis arrivé à un résultat acceptable. »

Le cachet de ses bogolans a une inspiration traditionnelle mais ce sont des œuvres résolument contemporaines, modernes.

« Chemin faisant, j’ai maitrisé un certain nombre de techniques qui me permettent aujourd’hui de m’exprimer quelque soit les conditions de travail.

Je travaille parallèlement à l’acrylique, au montage de matériaux, à l’utilisation de signes sacrés bamanan, des motifs dogons …

En sortant de mes études, nous étions peu de peintres maliens, la plupart étant à l’étranger, et on nous demandait de faire un peu de tout, pour montrer vraiment qu’on est peintre. A l’époque, on était obligés pour se faire accepter dans la société de montrer qu’on sait faire beaucoup de choses Aujourd’hui, les jeunes n’ont plus cette contrainte-là parce que nous nous avons un peu balayé le terrain.

Notre démarche a été essentiellement poussée par un esprit pédagogique par rapport au public.

On peut dire que la peinture sur chevalet contemplative ne fait pas partie de la tradition esthétique de chez nous et donc les gens avaient du mal parce qu’ils se posent toujours la question « ça sert à quoi ? ». La peinture contemplative, esthétique, visuelle, juste pour le plaisir des yeux c’est un concept qui n’est pas dans notre pratique artistique. Donc les gens avaient du mal à accepter ce que nous faisons. Dans la tradition on dit que la musique n’est pas bonne, c’est son sens qui est bon, ce sont les mots, les phrases utilisées qui ont un sens. Ils ont transposé la même appréhension dans les statuaires. Le masque sert à quelque chose. La plasticité est au service de l’humain, de la société, d’une certaine façon il est utilitaire. Mais faire une œuvre juste pour le plaisir des yeux ça ne fait pas partie de notre culture.

Tout cela fait qu’en m’inspirant des signes traditionnels j’essaye de respecter malgré tout la construction parce que la construction d’un bogolan traditionnel a ses règles. La bande de ligne droite doit être quelque part, les points doivent être quelque part, c’est très précis.

Je suis très soucieux du respect de ces aspects et même dans la peinture je fais des nœuds aussi pour rester dans ce mysticisme.

Les supports de mes toiles sont de la cotonnade traditionnelle qui implique beaucoup de symboles de valeurs. C’est important pour moi d’être dans cette démarche particulière à l’Afrique. Comme le disait mon ami feu Chris Seydou, si nous devons participer à l’universel ça doit être avec nos couleurs, nos valeurs etc. Si nous devons enrichir le monde il faut que ce soit avec notre propre sensibilité. L’Afrique a une sensibilité particulière qui fait partie de la sensibilité de la loi du monde. On a besoin de l’art chinois dans le monde, on a besoin de l’art américain, on a besoin de l’art français. Ce serait inutile que tout le monde fassent la même chose. Nous devons au contraire cultiver ces différences pour qu’il y ait une participation plus identifiable de ce que nous faisons.

Moi je fais des nœuds dans mes œuvres, je sais pourquoi je les fais. Tout en étant ancré dans ses propres valeurs, on peut créer des œuvres de valeurs universelles et contemporaines.

Faire des nœuds …

Je fais référence à une pratique très ancienne de chez nous du guérisseur. Souvent quand un enfant était malade, le guérisseur prenait un fil de coton blanc et il faisait des nœuds avec des fils mais à chaque nœud il prononcait des mots. Quand il fait un nœud il attache le sens du mot. C’est pourquoi j’ai fait une œuvre appelée La parole attachée. Ensuite on met un collier en coton blanc autour de l’enfant qui est malade. Je fais référence à cela parce que j’admire les créateurs des autels africains, les anciens plasticiens. Ce sont des très grands créateurs qui font immerger des objets d’une plasticité extraordinaires.

J’utilise les signes sacrés bambaras pour leur plasticité d’abord mais au delà de cela si quelqu’un veut s’intéresser aux signes réels, il se rendra compte qu’il y a derrière tout un monde. Le signe ne constitue pas le sujet principal du tableau mais il participe à la composition.

A mon sens, il est important que nous nous replacions dans cette vision du monde que les africains ont, je ne parle pas des africains de l’élite, je parle de l’Afrique traditionnelle. Quand tu côtoies les gens simples tu te rends compte qu’ils n’ont pas du tout la même vision du monde que les autres parties du monde…et ça c’est important. J’estime que ça c’est une vision suffisamment importante où peut-être le monde peut trouver un salut, j’en sais rien.

Après les évènements du World Trade center, les gens simples que nous nous côtoyons ont été surpris par la réaction des américains qui disait « on prend nos clics et nos clacs, nos fusils et nos canons, on va en Afghanistan, on va en Irak et puis boom ». Les gens simples ont été très choqués par cette attitude. La première question qu’ils se seraient posé et qu’ils se sont posé est de dire « Qu’est ce que nous avons pu faire à ces gens jusqu’à ce qu’ils soient arrivés à un tel point de sacrifice humain ? » Parce que prendre un avion, faire face à une tour en sachant que tu vas mourir c’est que tu dois avoir une motivation extraordinaire derrière toi.

S’ils s’étaient posés cette question là avant, le cour des événements aurait changé mais au lieu de cela le gouvernement américain a dit on prend nos canons, nos fusils et on va tirer chez eux aussi. Et ils trouvent qu’à ce rythme là le monde ne sera jamais en paix.

Voilà c’est comme ça qu’ils conçoivent la vie. Si on arrivait dans le monde à ne serait-ce qu’un tout petit peu insuffler de ce raisonnement là, je pense que le monde serait un peu plus calme.

On parle aujourd’hui d’écologie, de préservation de l’environnement mais depuis 1112 les donsow (chasseurs du Mandé) ont dit « Toute vie est vie. Il faut les respecter toutes. La vie de l’homme ne vaut pas mieux que la vie de l’arbre, ne vaut pas mieux que la vie du chien, ne vaut pas mieux que la vie de l’antilope. Toute vie est vie et pour ce respect de la vie sous d’autres formes, même un arbre on ne peut pas le tuer impunément comme ça. » La philosophie des donsow était qu’on ne tirait sur l’animal non pour le plaisir de faire la chasse mais on tirait parce qu’on en avait besoin pour vivre. C’est ce qui a fait que les choses de la nature ont été maintenues depuis longtemps. Mais cette philosophie tend à disparaître. D’autres philosophies sont venues tout détruire et aujourd’hui on est désespérément à la recherche du respect de l’environnement.

Il y a des choses en Afrique que nous devons redécouvrir et réutiliser. C’est plus facile pour nous de dire aux enfants « ne faites pas ça » que de jouer le policier derrière chaque homme.

Les ancêtres disent bien qu’il faut construire l’homme. C’est l’homme que l’homme doit construire. Sans cela on a beau faire des villes avec des buildings, un jour l’homme va prendre un fusil et tout casser. On a vu des pays africains complètement détruits parce qu’ils n’ont pas construit l’homme.

Au Mali nous n’avons pas de building mais il y a eu une des premières constitutions au monde en 1236, la charte de Koukenfoura dont les principes régissent encore les fondements de nos sociétés.

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Il faut absolument que l’on arrive à faire la fusion de l’Afrique d’hier et l’Afrique d’aujourd’hui et c’est un de me rôles en tant que plasticien de la première heure. Nous sommes à la charnière des deux entre le monde contemporain et l’Afrique traditionnelle. Nous sommes les deux faces d’une même chose. C’est pour tout cela que je ne peux pas peindre comme un nouvel artiste aujourd’hui. Il y a trop de choses qui me rattachent à l’Afrique traditionnelle et trop de choses qui me tirent à l’avant aussi. Je ne peux pas échapper à cette double attirance et cela se ressent dans mon travail. Si on ne lit pas mon  travail avec cette double vision on a du mal à comprendre ce que je fais.

Ismaël Diabaté est dans une période de peinture rouge à l’acrylique.

Il s’inspire du rouge N’pegu issu des teintes bogolan.

«  Pour apprécier ce rouge il faut se débarrasser des préjugés par rapport au rouge qui serait violent, parce qu’on peut faire des œuvres violentes avec des bleus. Moi quand je travaille le rouge je ressens de la sérénité…je suis à un âge où je peux être serein, où je me dois d’être plus posé. Ma façon de poser la peinture est beaucoup plus calme maintenant qu’avant. La sérénité s’acquiert avec le temps.

Je travaille au couteau mais aussi avec les matériaux que je trouve qui peuvent le mieux rendre ce que j’ai envie de faire, avec les doigts avec les brosses, les morceaux de bois. Pour moi l’essentiel est d’arriver à rendre ce que j’ai envie de faire et l’outil importe peu.