Kader Keïta
plasticien à Bamako.
Kader habite le quartier de Lafiabougou, à l’Ouest de Bamako. Il travaille sur sa table en bois dans la rue, dehors devant la porte de la concession où il vit avec d’autres.
Les enfants sortis de l’école viennent le saluer uns à uns tout au long de notre entrevue. Il est comme un grand frère complice qui parle leur langage.
Kader est né en 1972 dans la région de Koulikoro au Mali. Depuis l’enfance, il a vu sa mère faire des teintures de bogolan (technique de teinture traditionnelle des textiles, initialement des bandes de cotonnade, au moyen de produits naturels) et à vingt ans il s’inscrit à l’institut national des arts de Bamako.
Parallèlement à ses études et à sa pratique artistique, il donne depuis des années des cours de peinture bogolan aux enfants en situation difficile à Bamako, dans les régions du Mali et à l’étranger. « On les appelle enfants des rues mais la rue n’a pas d’enfants. Ce sont des jeunes en rupture sociale. Les parents ne peuvent souvent pas subvenir à leurs besoins. Alors ces petits partent en ville pour gagner quelque chose. Je crois en la vertu thérapeutique du bogolan. L’enfant se calme car s’il a envie de bien faire, il a besoin de concentration. L’argile s’impose à celui qui fait du bogolan, il apaise. »
Kader a fait sept ans de bogolan dans le milieu associatif. Et il vient de créer la sienne PENSONS A DEMAIN qui va proposer l’hébergement et des formations à travers les arts pastiques.
« Nos ancêtres faisaient du bogolan traditionnel et nous, artistes contemporains, faisons du bogolan moderne. Il faut bien faire la différenciation entre les artisans et les artistes. L’artisan reproduit des formes traditionnelles qu’il a apprises alors que l’artiste créée des formes. Je ne suis pas devenu artiste, je suis né artiste. Si tu n’a pas l’esprit de créativité doublé de la force de développer ta pratique, tu ne peux pas te dire artiste. »
Kader travaille l’argile comme on travaille la peinture avec des formes libres sur coton. Il maîtrise parfaitement les nuances et les propriétés de cette technique.
Dans ses toiles, il mêle d’autres matériaux, miroir, œuf … et même des objets ou des choses qu’il ramasse dans la rue.
« Le bogolan est d’abord une collaboration puisqu’il y a ceux qui cultivent le coton, ceux qui le tissent et ceux qui le vendent sur les marchés. Il y a aussi les bozos (population de pêcheur principalement) à qui nous demandons d’aller chercher l’argile où il est le meilleur au fond du fleuve. Mon art s’adresse d’abord à mon peuple et à mon pays.
Sensibiliser, communiquer, pousser les gens à changer certains de leurs comportements, voilà ce que je veux atteindre. »
« Ma source principale d’inspiration est la femme. Dans notre société elle est très importante, malgré un machisme apparent, c’est elle qui dirige. On dit que même si tu es riche, sans femme, ta belle maison sera obscure et vide. La femme amène la joie, la vie et peut changer les travers de l’homme.
Quand les sages ne s’entendent pas ou n’arrivent pas à résoudre un litige, le plus vieux d’entre eux repousse les décisions au lendemain puisque la nuit porte conseil. Mais elle n’a jamais porté conseil, c’est plutôt que l’homme va demander la solution à sa femme. Le lendemain il va se battre pour la décision de sa femme, la faisant sienne.
On sait aussi que dans l’histoire les femmes sont à la base de toutes les destinées des rois et des chefs d’état qui se sont succédés.
Au Mali, lors du soulèvement de la population pour la chute du Général Moussa Traoré, ce n’est que suite aux marches de femmes que le régime est tombé. »
Dans mes toiles je ne peux que célébrer la force des femmes en m’inspirant de leurs formes. Je travaille aussi sur le thème de l’eau, de la nature en général. »
Kader Keïta est un exemple pour les nouvelles générations, malgré son handicape qui le prive de l’usage de ses jambes, Kader est de toutes les actions culturelles et sociales de Bamako. Il est polyvalent et pratique le bogolan, l’informatique, le théâtre, la musique …
Ces dernières années, il a été invité à animer des ateliers de peinture en France, en Angleterre et aux Pays-Bas.