Groupe Kasobané
Action Douniala
Groupe Kasobané, antenne de Ségou
L’association Kasobané a été créée en 1978. Les membres fondateurs sont des artistes qui se sont alliés pour affirmer une technique de peinture naturelle à partir du bogolan. Nous avons rencontré Boubacar Doumbia qui est installé à Ségou où il représente le Kasobané. Il a créé un atelier exemplaire où sont formés des jeunes à différentes techniques de peinture sur textile et apprennent aussi à exprimer des formes plus contemporaines.
Entretien dans l’atelier coloré du NDomo avec Boubacar Doumbia :
Ségou, juillet 2005
bâtiment en terre rouge sur le model d’architecture traditionnelle de la région.
» Ici les réalités sont différentes de celles d’Europe les oeuvres sont le plus souvent utilitaires. L’artiste a du mal à vivre de son art dans une société qui n’est pas habituée à des oeuvres d’ordre esthétique. Peu de gens aussi peuvent acheter. Dans le temps, l’art mettait la création à disposition de la population à travers l’artisanat utilitaire. Avec le groupe Kasobané, nous étions six membres à vouloir imposer la technique de teinture naturelle en faisant une symbiose de ce qui est propre à nous, africains, et de ce qui est occidental.
En 1980 nous avons exposé en Europe, notamment à Marseille et nous avons eu quelques problèmes en présentant nos oeuvres puisque les artistes nous rangeaient dans l’artisanat. Nous n’étions pas d’accord.
Maintenant, le bogolan est enseigné à l’Institut National des Arts de Bamako. Chaque membre du groupe évolue individuellement et constitue en quelque sorte une école à part. Nous nous réunissons parfois et essayons de lancer des projets communs. Les oeuvres sont le plus souvent collectives. Nous pouvons travailler à Six sur un thème. L’un fait la composition, l’autre amène une idée… et c’est ainsi depuis le début. »
Le NDOMO
« Pour ma part, je me suis installé à Ségou où j’ai créé l’atelier NDOMO. Il s’agit d’offrir une formation complète aux jeunes à travers l’enseignement des teintes naturelles.
A l’origine, le Ndomo est une association villageoise appartenant à l’ethnie bambara qui est vouée à la jeunesse, entre 14 et 21 ans.
don-mo = don : connaissance / mo : la pêche
La pêche au savoir. Elle concerne tous les jeunes du village qui apprennent la manière de se comporter dans la société, la bravoure et toutes les règles indispensables pour le bon fonctionnement de la société bambara. Ils sont aussi initiés aux travaux manuels.
Le masque Ndomo appartient à ces jeunes, ils en sont responsables.
Les cinq cornes ou cinq doigts symbolisent le fait de transformer la matière en richesse. L’enfant deviendra un jour chef de famille. Par son labeur il pourra nourrir et répondre aux besoins de sa famille.
Kasobane a pris cette version dans un cadre contemporain. Les jeunes reçoivent une formation qui puisse répondre à nos besoins.
La formation est à la fois artistique et artisanale. Ainsi ils peuvent évoluer avec les deux domaines en parallèle. L’artistique pour pouvoir s’exprimer, l’artisanal pour en vivre. Nous sommes très attachés à l’insertion de ces jeunes et nous faisons tout pour qu’ils puissent prendre leur envol. »
Un des jeunes de l’atelier nous explique qu’il est l’un des plus anciens dans le groupe. Il travaille aux côtés de Boubacar Doumbia depuis cinq années et nous apprend que l’association achète des concessions pour les plus anciens d’entres eux afin qu’ils puissent en prendre possession et fonder une famille dans une maison leur appartenant.
Tout a été conçu pour que ces jeunes sortent de l’atelier avec les armes pour réussir et devenir même des models pour les générations suivantes.
La Galerie Kasobané
La galerie est située dans le centre commercial de Ségou, dans une rue perpendiculaire aux berges du fleuve Niger. C’est ici que sont vendus les travaux du Ndomo. La galerie propose une partie consacrée à l’artisanat et une autre à l’art, avec des expositions périodiques. Boubacar Doumbia y expose sont travail personnel ainsi que des oeuvres collectives du Kasobané. Chaque année, il fait des recherches sur un thème.
« Il y a eu la calebasse et la société malienne, l’architecture, la poterie, la transformation du beurre de karité qui m’a fait découvrir tout un langage, une liaison entre les étapes de transformation et la société. Nous réalisons aussi des cassettes vidéos afin que les gens comprennent mieux les thèmes exposés par rapport à la région de Ségou. Il faut s’imprégner de des valeurs culturelles si l’on veut comprendre la force de ces traditions.
Notre objectif est de continuer à traiter les thèmes d’ordre social pour mieux faire connaître la culture. »
Nous vendons aussi nos produits artisanaux à l’exportation. A Paris, nous sommes dans la chaîne du commerce équitable. Nous travaillons aussi avec l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis et le Japon qui nous passent des commandes précises ou plus libres. Chaque année, nous créons de nouveaux models. Ces produits sont une sorte d’artisanat d’art puisque nous ne souhaitons jamais en faire des reproductions à l’identique.
Les techniques de teinture naturelle
Une harmonie entre maîtrise des plantes et force des symboles traditionnels.
Les ethnies d’Afrique de l’Ouest qui utilisent traditionnellement les teintes naturelles sont les Bambaras, Malinké, Sénoufo, Soninké, Dogon, Bobo et Manianka. Ils rassemblent des bandes de cotonnade tissée à partir desquelles ils confectionnent leurs vêtements.
les solutions :
Le Ngalama : Ce sont des feuilles d’arbres recensés dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. Sa décoction à chaud ou à froid donne une couleur ocre jaune. On y trempe les bandes de cotonnades trois fois puis on laisse sécher au soleil.
Le Npeku : C’est l’écorce d’un arbre que ‘on trouve dans la savane. Ces écorces donnent une couleur ocre rouge.
Le Wolo : Son écorce donne un ocre plus foncée, tendant vers le marron.
On peut avoir beaucoup de nuances en fonction du nombre de trempages et aussi de l’humidité. En bambara, on appelle ces couleurs ocres basilan.
Le BASILAN :
« basi » = plante médicinale ; suffixe « lan » = résultat
Ces plantes sont utilisées dans la médecine traditionnelle. Par exemple, le Ngalaman sert à combattre l’hépathite B, c’est aussi un antibiotique naturel. C’est pour cela que les jeunes circoncis des sociétés bambaras portent toujours un tissu ocre. Cela favorise la cicatrisation.
Basilanfini ( « fini »= tissu) : C’est un tissu trempé dans la solution d’une plante médicinale. Dans le temps, cette technique était utilisée par les ethnies dans le but de la teinture autant que pour la protection.
Le BOGOLAN :
« bogo »= argile, terre
« bogolan » = résultat que donne l’argile sur le tissu
On dit qu’à l’origine un chasseur courant après son gibier est tombé dans de l’argile. Sa femme n’arrivant pas à le laver, elle se mit à dessiner sur le tissu basilan.
Bogolanfini : C’est le tissu décoré avec de l’argile. On applique l’argile directement sur la cotonnade. Une réaction chimique s’opère entre l’argile et la concoction de plante dont est imbibé le tissu. Cette technique appartient aux femmes. Ca n’est que tout récemment que les hommes l’ont usurpée.
Les bambara du Bélédougou ( zone de Koulikoro à la frontière mauritanienne ) ont perfectionné le bogolan.
Tous les motifs décoratifs ont des noms et sont en rapport avec la mode de la société.
la ligne : il faut emprunter un seul chemin droit.
la croix : croisée des chemins, carrefour (« dankun »). Endroit fréquenté qui rend service à l’homme, à la disposition de tout le monde.
point dans le cercle : endroit où l’on garde les choses précieuses. par exemple le grain symbolise l’espoir.
étoile et point dans le cercle : unité de la famille, c’est la base de la société.
trait montagne : le chemin emprunté par quelqu’un qui ne veut pas payer ses dettes. Eviter de prendre un mauvais chemin sans la vie.
flèches : la colonne vertébrale du poisson symbolise le pilier.
losange point : l’empreinte des pas du chameau, le voyage.
Il y a des règles de composition précises du bogolan. Le thème principal traité se trouve au milieu de la pièce de tissu. en haut et à la verticale il y a toujours des points qui sont cachés lorsque la femme porte le pagne. Les points symbolisent des coques d’arachides ou des étoiles. Dans la cosmogonie bambara, chaque être naît avec son étoile qui va tomber lorsque la personne va disparaître. Le pagne représente l’étoile du porteur que personne ne doit voir, comme si c’était trop précieux. Lors du décès, on retourne le pagne de telle sorte que les motifs soient contre son corps.
Dans le temps, c’était les femmes ménopausées qui traçaient les décorations pour la génération montante. Elles véhiculaient des messages de sagesse pour maintenir un climat serein dans la société.
Par exemple, ce tissu sera porté par une femme dans une concession où il y a des tensions entre les coépouses. Les autres, en voyant le symbole du point dans le carrefour comprendront qu’elles doivent s’entendre pour le bien de tous.
Le GALA :
« gala » = indigo
On obtient l’indigo d’après un arbre que l’on trouve dans la brousse, essentiellement dans la région de la falaise du pays dogon.
Les femmes pilent les feuilles d’indigotiers et forment des boules.
photo boule
On les fait tremper dans des jarres dans lesquelles on ajoute de l’eau et de la potasse traditionnelle ( à base de cendres).
Pour obtenir du vert, on trempe la cotonnade dans l’indigo puis l’ocre jaune.
Toutes ces techniques, ici racontées par Boubacar Doumbia dans un souci pratique de transmission de savoir, sont à la base du travail de nombreux plasticiens maliens. Beaucoup ont commencé par maîtriser ces techniques traditionnelles pour les détourner de leur vocation utilitaire première et les mettre au service de leur expression personnelle. Ils ont exploré d’autres utilisations en faisant évoluer la technique sur différents supports ou en l’incorporant à des techniques mixtes modernes.